A peine descendus de l’avion, les porteurs nous sautent à la gorge avec un grand sourire. Ils ont déjà récupéré nos vélos et nous accompagnent à la sortie de l’aéroport, 25 mètres plus loin. A peine avons-nous foulé le sol balinais que les négociations commencent. Ils nous ont vite mis dans le bain.
Un taxi nous dépose dans un hôtel en plein cœur de Kuta, la ville la plus touristique, la plus bruyante et la plus festive de Bali. Force est de constater que la ville ne justifie pas un séjour prolongé, mais reste une bonne transition pour les premiers pas en Asie. Toutefois, le ton est donné. Une vague de scooters et de taxi déferle sur les rues principales, dans lesquelles la circulation est, bien-sûr, anarchique. Perpendiculaires, des venelles appelées gangs, bordées de murs en pierre de lave habillés de mousse rejoignent ces rues et forment un labyrinthe ou il est très plaisant de se perdre. Çà et là, les petites gargotes de rue cèdent la place à des autels sculptes dans la pierre et garnis d’offrandes ou de colliers de fleurs. Les commerçants qui bordent la plupart des rues vous hèlent et vous propose d’entrer dans leur magasin just for looking (juste pour regarder). Et si toutefois vous hésitiez, ils ont le best price just for you (le meilleur prix, juste pour vous). Il est certain qu’entre les fausses Ray Ban, les T-shirts I love Bali, les bijoux, les fringues, les statues à l’effigie de Buddha ou Ganesh, la tentation est rude. Et malgré leur accueil et leur sourire il faut résister aux assauts mercantiles des Balinais. Et quand vous réussissez à vous en extirper il faut encore refuser l’offre des chauffeurs de taxi qui, malgré votre refus, vous propose un transport may be tomorrow (demain peut-être). Néanmoins, cela fait partie intégrante du jeu. Car c’en est un. Surtout, ne jamais acheter un article sans avoir négocié, même le moindre adaptateur de prises, ce serait considéré comme une insulte. Le contact est facile et, malgré la sensation que le temps s’arrête, la vie est agitée, Peut-etre un peu trop. D’ailleurs nous décidons de quitter Kuta et de faire découvrir l’ile à nos vélos. Apres les avoir remontes, bien sûr.
Le lendemain matin, nous quittons notre petit déjeuner copieux (jus d’orange, café ou the, œufs brouilles et pancake a la banane) vers 7h30 et déjà Kuta s’affole. Afin d’éviter une grande partie de Jalan Legian, la rue principale, nous empruntons un gang parallèle dont le sol est bien accidente, mais au moins, la circulation y est moins dense. La sortie de la ville est plus longue que prévue car aucune rue n’affiche son nom et comme les règles de priorité s’effacent à celle du gabarit, il ne nous est pas toujours facile de traverser un carrefour directement. Nous nous voyons donc contraints de suivre le sens de la marche et de tourner à gauche avant de reprendre notre direction. Tout cela est exaltant, même si ce fatras de voitures, scooters, voitures à cheval et taxis est inquietant. Nous ne savons pas toujours très bien quelle trajectoire ces chauffeurs vont prendre ; autant vous dire que nous avons serre des fesses plus d’une fois. Même si leur manière de conduire est surprenante, ils doivent avoir leur propre code de la route car cela passe. Par exemple, il est fréquent que les voitures ou scooters se lancent d’abord sur le bas-côté, mais à contre sens avant de traverser la chaussée et revenir sur la bonne voie. En tout cas, nous avons trouvé notre rythme et notre place. En ville, nous serrons bien à gauche, mais pas trop près du trottoir, car de temps à autres il disparait pour réapparaître plus loin et devient un obstacle qu’il vaut mieux éviter. Sur la route, nous prenons un peu plus de place, notamment lorsqu’un véhicule cherche à nous dépasser et qu’un autre s’apprête à nous croiser. Dans ces cas-là, telle la grenouille, nous essayons d’être aussi encombrants qu’une voiture en prenant la place d’un bœuf.
Nous voici donc arpentant le bitume à la sortie de Kuta et cherchant la direction de Tabanan, la capitale de province. Apres avoir demandé notre chemin a un réparateur de scooters, puis a un restaurateur, un vendeur de lunettes, un sculpteur et au poste de police, nous tournons sur une route secondaire. Et en moins de cinq minutes de pédalage les maisons se dispersent et laissent apercevoir un dégradé de verts. Et en moins de dix minutes nous naviguons au milieu des rizières en escalier. Entre le vert foncé des feuilles de palmiers, celui, plus tendre, des jeunes pousses de riz et le bleu pur du ciel, le chemin vallonné et doux présente un gout de flânerie. Nous savons que cela ne durera pas, nous en profitons. En effet, Tabanan est située au pied des volcans et notre excursion va les croiser. Pour le moment, nous cherchons notre destination et, toujours en l’absence de panneau directionnel nous accostons une bande de jeunes qui gèrent un cybercafé. Au pire, nous pourrons toujours consulter un site de cartes routières sur le net. Apres de longues explications et un plan dessines par ces gamins tout hilare, nous comprenons tout de suite la voie à suivre. Nous laissons donc Tabanan derrière nous avec Bedugul comme point de mire. Toutefois, afin de pimenter un peu plus notre voyage, nous avons décidé d’emprunter un chemin de traverse dont le guide que nous avons lu nous promet des paysages époustouflants.
Apres avoir quitté la ville, nous avançons sur des routes magnifiques bordées de bambous, de palmiers, de rizières animées par les agriculteurs dirigeant des buffles d’eau. Entre cette vision de rêve, nous traversons des villages dont chaque maison laisse deviner un autel ou un temple fignole de sculptures et enrichi d’offrandes fleuries. De plus, nous approchons des fêtes de Galungan et Kuningan qui célèbrent la création de l’Univers. Pour égayer encore plus les rues et même les routes, les Balinais confectionnent d’immenses mats décorés de guirlandes de feuilles et de fleurs.
Nous trouvons difficilement un endroit pour dormir et le site est très romantique. Apres lui avoir demandé le prix de la chambre, le jeune gardien du homestay nous observe, réfléchit longuement et nous sort 300 000 roupies avec un grand sourire. Que nous lui retournons d’ailleurs tellement la somme est élevée. Nous la prendrons à 150 000. Alors ? Apres une valse d’hésitation, et parce qu’il y a de l’eau et de l’électricité, il nous la laisse pour deux cent mille. Nous nous installons et n’avons qu’une seule envie, prendre une douche bien fraiche, mais à ce moment précis, ni eau, ni électricité. Nous retournons voir notre lascar qui ne parle ni anglais, ni indonésien seulement balinais et lui expliquons que le prix ne correspond plus avec la prestation. D’ailleurs la discussion ressemble plutôt à cela : Hello Sir, no water, no electricity : no 200000 ! Au bout d’un quart d’heure, nous nous comprenons, il nous rend 50000 roupies. Nous réussissons tout-de-même à récupérer un sceau déjà rempli d’eau et à nous asperger à l’aide d’un petit récipient. Lorsque vous vous versez l’eau bien fraiche en gros paquet sur votre tête bien chaude, c’est une sensation douce et saisissante. Juste après cette douche artisanale, très embarrassés, nous nous rendons compte que le robinet coule et que la lumière est ! Mais le bougre a disparu alors que nous souhaitons lui rendre ses deniers. Nous ne le reverrons pas.
Le lendemain, nous partons très tôt. Il fait vite chaud et le soleil cogne dur sur le crane, sans parler du vent qui souffle fort. A peine sur les vélos sur la route, nous la sentons se raidir quelque peu, serait-ce un signe précoce d’une forte dénivellation ? Eh bien oui ! Nous voici, deux heures à peine après avoir commencé notre journée, en train de pousser les vélos tellement la pente est raide et le vent décolle nos chapeaux. En plus, les échoppes qui nous ravitaillaient en vivre et en eau ne sont plus légion. Tandis que la route poursuit son ascension vers les hauteurs volcaniques, les balinais nous regardent maintenant comme des hurluberlus et à la place des sourires et des pouces levés nous avons droit a des yeux ronds emplis d’interrogation. Lors d’un ravitaillement en eau, la fille du propriétaire nous explique avec un large sourire qu’il n’y a plus de boutiques ni de restaurants avant Bedugul, la ville avant le point culminant de notre route a environ 60km. Et elle rajoute aussi que les chambres simples coutent cent mille a cent vingt roupies dans cette partie de l’ile. Nous apprenons donc deux choses. La première, quand vous négociez, tant que le vendeur est d’accord, vous vous faites berner. Donc n’ayez pas de scrupules. La deuxième, nous sommes bien mal engagés. Il nous reste donc 60km en dénivelés sur des routes qui ressemblent plus à des chemins défoncés qu’à du macadam. Il est encore tôt, alors tout va bien. Le plein d’eau effectue, nous continuons de monter jusqu’à cette belle route qui vire à droite. Elleest belle car elle descend et donne sur le jardin. Tout le long de cette montée, nous étions entoures de foret ou de temple. Maintenant la vue se débouche et donne sur les plus belles rizières que nous ayons croisées. Nous dévalons cette route qui, nous en sommes certains, va remonter, puis redescendre. Nous ne nous trompons pas et l’escalade jusqu’à Bedugul nous fait changer de climat. Nous rentrons dans les nuages, la pluie et le froid. La ville, construite avec de la pierre de lave, ajoute un cote mystique ou mystérieux. On ne sait plus très bien. Et puis, le lendemain, nous empruntons une route qui se glisse derrière les volcans et s’effondre vers Lovina au nord de l’ile, sur la cote. Nos mains engourdies à force de freiner se réchauffent aussi rapidement que nous descendons et que la chaleur remonte. Nous avançons le long de l’océan et traversons Tulamben, Amhed, Candi Dasa, Padang Bai et Sanur. Tout en continuant, nous évoquons l’arrivée de Delphine, une semaine plus tard. Même si nous profitons de chaque jour, chaque heure, chaque minute, le temps passe. Très vite. Surtout quand vous passez votre temps à ouvrir les yeux, à rencontrer, à découvrir.
Et la semaine file. La fin de ce parcours arrive bien vite et c’est pour mieux retrouver Delphine qui vient nous rejoindre pour dix jours. Bien sûr, nous posons les vélos et, avec elle nous découvrons l’ile de Lembongan, à l’est de Bali. C’est un plongeon en plein cœur de la culture balinaise. En effet, nous commençons avec la découverte des fonds sous-marins avec palmes, masque et tuba ou snorkeling. Certes ce n’est pas le plus traditionnel, mais le respect de la nature et de l’océan fait partie intégrante de la culture balinaise. Et lorsque l’on aperçoit la couleur de l’eau, quoi de plus naturel que de se demander qui habite dessous ? Entre Mangrove Bay et Wall Bay, nous découvrons des poissons multicolores, des anémones, des Némo et aussi des coraux en bonne santé. Jacques-Yves Cousteau retrace sa passion dans Le Monde Du Silence, il faut reconnaitre que cette vie sous-marine est emplie d’activité et de couleurs magnifiques, mais également pleine d’interrogations. Tellement en tout cas que retarder le retour est un sacerdoce.
Quelques heures après avoir quitté l’océan, nous empruntons des scooters afin de faire le tour de l’ile. A peine avons-nous fait cent mètres que nous croisons un très long cortège. Nous avons l’impression que tous les habitants sont présents. La tête de cortège s’est déjà arrêtée dans un champ, alors nous demandons quel est l’objet de cette réunion à une dame assise à nos côtés. Charmante, sourire a l’appui, elle nous explique qu’il s’agit de la cérémonie de crémation de sa grand-mère. Toutes les personnes présentes sont de la famille ou des amis. Que dire dans ces cas-la, si ce n’est lui retourner son sourire ? D’ailleurs nous avons vite pu associer les images a la parole. Alors que dans certaines parties de l’Inde, le corps doit se consumer sans flamme pour que l’esprit puisse s’envoler, ici la pratique est un peu plus radicale. Le corps est place sur un bucher. Les deux sont disposés sous un auvent qui sert d’autel. De part et d’autre du bucher, les religieux utilisent une soufflerie pour justement attiser le feu. Il est surprenant de constater la différence de comportement entre les cultures dans ces moments-là. Tous sont habilles de blanc le sourire au bord des lèvres. La croyance en la réincarnation a ce côté magique de la continuité.
Ensuite nous laissons la famille, non sans l’avoir remerciée, et poursuivons notre visite de l’ile. Et là, au moment où nous cherchons de quoi nous sustenter, nous croisons la route d’un Balinais qui nous propose d’assister à un combat de coq. Si ce ne sont les crémations, les offrandes, les temples ou les sourires qu’est-ce qui définit un peu plus encore Bali ? Alors nous nous retrouvons tous les trois entourés d’une foule qui crie et lève des billets. Les propriétaires montrent leur coq, les énervent en leur caressant le cou à rebrousse-poil. Les paris fusent de tous les cotes dans une sorte de mélopée aigue. Apres une minute, les paris sont faits. C’est parti, le combat commence au milieu de cette centaine de parieurs. La scène est particulière et relativement agressive. Chaque coq, équipé d’une lame à un de ses ergots vole sur l’autre. Ils n’ont pas vraiment l’air de savoir ce qui se passe. Ils n’ont même pas vraiment l’air concerné. C’est un spectacle assez particulier, mais les éleveurs sont très fiers de leur activité et de leurs coqs. Ame sensible, s’abstenir.
Nous quittons cette bagarre et poursuivons notre visite à Ubub sur Bali, cette fois. Il s’agit du centre culturel de l’ile de Bali. Certes, la ville regorge de boutiques d’artisanat et vomit ses touristes. Toutefois, afin d’éviter ce travers, la journée, il suffit de se promener a pieds aux alentours. Si ce ne sont les Balinais qui s’occupent des rizières ou les peignent, aucun accent australien, allemand ou français n’est à déplorer. Le premier soir, nous nous laissons charmer par un spectacle d’ombre de marionnettes artisanales. Derrière un rideau blanc, un marionnettiste donne vie à plusieurs personnages et raconte la légende d’Hanuman. Il prend deux personnages à la fois et leur fait bouger la bouche ou un bras. Ils sont étonnants d’agilité. Bien sûr, on n’y comprend goute car il parle en balinais, mais le simple fait de se laisser bercer par ces images qui virevoltent devant la flamme vaut le détour rien que pour la magie de l’artisanat. Le deuxième soir nous nous laissons envouter par le charme des danses Legong. Le regard figé des danseuses, la désarticulation de leur bras et mains accompagnés d’une musique à base de xylophone nous laissent muets et émerveillés. La mélodie des instruments donne naissance à nos rêves et quand arrivent les danseuses aux costumes dorés, si agiles, délicates et gracieuses, le rêve devient réalité. Pendant que les danseuses et danseurs s’appliquent a effectuer leurs gestes d’une précision redoutable, on peut apercevoir les musiciens rigoler tout en jouant sans fausses notes et avec régularité. Apres un spectacle telles que les danses Legong, vous restez sans voix. Cela tient plus de l’expérience que du spectacle.
Il est très difficile de raconter Bali en quelques lignes. Même l’habit traditionnel mériterait qu’on s’y attarde tellement il est élégant et joli. Hier encore, nous y étions et les admirions. Le temps passe vraiment très vite.
Aujourd’hui nous sommes bien revenus sur le vieux continent. Vous pouvez en être certains car nous n’avons pu taper de réactu avant aujourd’hui tellement nos doigts étaient gelés !
Nous reprenons la route demain matin et pensons arriver à Bourges samedi 17 mars prochain. Nous passerons chez Boulette le soir même. Si ça vous tente…